*Le cinéma selon Jean-Pierre Melville, Rui Nogueira, Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma, Paris, 1996.
La sélection de Donc Acte !
Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.
samedi 13 août 2011
Le Samouraï
Samedi 13 Août 2011
Hors du tempsSorti en 1967, Le Samouraï est une œuvre chère à son auteur. En scénariste et metteur en scène, Jean-Pierre Melville tient à pousser jusqu’au terme ses intentions d’innover le genre du film policier français en présentant une version intimiste du parcours d’un tueur à gages confronté à la trahison de ses employeurs et à la traque que lui mène la police.
En 1967, Jean-Pierre Melville possède déjà une notoriété de grand cinéaste. Le Doulos (1962), Le Deuxième Souffle (1966), Le Silence de la Mer (1947) ou L’Aîné des Ferchaux (1962) ont déjà porté le cinéaste sur les voies du succès critiques et commerciaux. Il a déjà donné abondamment dans le genre policier : Le Doulos et Le Deuxième Souffle, sans compter Bob Le Flambeur, sont déjà des œuvres importantes dans le domaine. Avec Le Samouraï, Melville débute ce qui sont appelées les grandes années (qui comprend Le Deuxième Souffle tourné l’année précédente) et signe le premier volet d’une trilogie de films consacrés au genre qu’il tourne avec Alain Delon. Les autres titres sont Le Cercle Rouge en 1970 et Un Flic en 1972.
Melville travaille à un style de polars durs aux personnages ambigus et aux actions criminelles liées à la fatalité et à la damnation. Les héros sont sans classe sociale déterminée. Ils adoptent d’ailleurs un style vestimentaire particulier (influencé par le polar US) qui brouille les pistes à cet effet. Imperméables et chapeau feutre sont ainsi liés à des décors qui s’appliquent à être un mélange de reconstitutions de décors américains et d’extérieurs français.
Le Samouraï appartient au genre film policier. L’action se situe en milieu urbain : Paris à l’époque (on retient bien, par la répétition des entrées et sorties et la filature dans le métro, que Jeff Costello, interprété par Alain Delon, habite dans le 20ème arrondissement, à la Porte des Lilas). On y trouve victimes (un patron de boîte), policiers (commandé par le commissaire Perier) et criminels reliés par un acte illégal (le meurtre du patron de boîte).
Le film se focalise sur les personnages du policier (Perier) et du tueur (Costello) et s’oriente sur la collecte de preuves que Perier mène pouvant amener la police à arrêter Costello. Melville met ainsi au centre de son intrigue les thèmes de la traque et de la fatalité en construisant son film autour de l’idée d’un alibi qui permettrait à un assassin de ne pas être inquiété alors qu’il a commis un meurtre devant témoins.
Mais Melville ne s’arrête pas à la réalisation d’un film policier. Le Samouraï est un film qui traite d’un autre thème. Celui de la damnation d’un homme à la santé mentale vacillante qui, tombant amoureux de sa mort, va se diriger vers elle plutôt que vers la liberté et la rédemption. Pour cela, Melville utilise Alain Delon, la star du cinéma français, à contre-emploi.
Melville cherche à exposer la psychologie du criminel et son mode de vie : la façon dont il accomplit son crime et la façon dont il se prémunit contre les dangers (la police, les témoins et les autres truands). L’accent est mis sur la schizophrénie, la solitude, le comportement muet et le repli sur soi-même de Costello. Ce dernier est cerné par une peur qui rode. Celle de voir la vérité de ses actes.
La ritualisation est un ressort constitutif du film. Sa schizophrénie l’empêche de voir qu’il accomplit des crimes. C’est pour cela qu’il s’adonne à un rite bien particulier qui précède les meurtres : le vol de voiture. De même que les voitures changent de plaque, le tueur ravale sa façade. Son désordre mental le pousse à considérer chaque acte comme un rite (vérité médicale sur les schizophrènes).
Le premier plan du film sert d’ailleurs à appuyer cette valeur ajoutée par Melville au personnage. A propos du premier plan du film, Melville disait que le transtrav saccadé (pour l’occasion) servait à donner cette impression de « tout bouge et en même temps tout reste à sa place »*. Ainsi la maladie de Costello s’identifie comme celle d’une incapacité à trouver le repos. Costello, constamment perturbé tout au long du métrage par une action ininterrompue, est continuellement obligé de se déplacer et ne peut même pas retrouver le « confort » de son appartement dépouillé de toutes fantaisie et de soins apparents ayant été troublé par l’infraction policière.
Costello fait montre, dans une séquence où il découvre que la police s’est invité chez lui (grâce à l’agitation d’un oiseau, qu’il garde en cage, destiné précisément à cet effet), du comportement mutin qui le caractérise. Jamais un mot de trop. Jamais un geste qui n’est pas nécessaire. Costello est un ascète en tous points. Il répond par la plus pure simplicité, cherchant en silence, sans perte de sang-froid, ce qui peut causer sa perte (un micro). Tout au long du métrage, Costello se caractérise par cette économie d’identité. La présence du silence est symptomatique de son rapport au monde, aux autres : neutre et quasi-inexistant. En cela, il s’oppose dans ses actes et dires à ceux de Perier, très verbeux, nerveux, actif et vif.
Les policiers, dans ce film, ont des allures de criminels. Deux d’entre eux doivent s’infiltrer dans la chambre de Costello et y poser des micros. Pour cela, ils entrent par effraction et accomplissent leurs tâches dans la discrétion la plus totale. Ils se cachent des voisins de l’assassin alors qu’ils entrent et sortent de l’appartement. Les policiers deviennent ici des travailleurs de l’ombre. Ainsi que le commissaire, obligé de suivre une filature derrière un écran de contrôle, très loin de l’action, tel un docteur Mabuse ordonnant ses crimes depuis son bureau dans son repère secret. Le commissaire ne fait d’ailleurs peu fi des individus dans la scène de l’identification des témoins et de la vérification des alibis. Perier joue avec les individus et les relations existantes entre eux. Ainsi il expose à un galant homme une relation amoureuse que celle qui l’aime entretient avec Costello (même si cette relation n’est que constituante principale de son alibi).
Enfin, la place centrale de la mort est à souligner. Costello est constamment en danger. La mort rôde autour de lui comme la peur. Ses employeurs veulent le tuer, et, lui-même, est un tueur. Melville disait de son personnage, pour entre autre expliquer la fin du film, que Costello tombe amoureux de la pianiste, témoin principal du crime, comme il tombe amoureux de sa mort. Cette fatalité d’être surpris dans un couloir sombre se lie à la damnation d’avoir à exécuter le témoin. Damnation qui cause sa perte. Perte délibérée. Costello choisit sa mort. En silence. Comme il a vécu, il part sans explications ni aveux incomplets. Son acte d’assassinat « manqué » est l’aveu à lui seul. L’aveu d’un homme qui agit plutôt que parler.
Le Samouraï est une pierre angulaire du genre. La stratégie et l’itinéraire criminels qui mènent une star à contre-emploi à choisir délibérément sa destinée létale, l’ambiguïté des personnages (au travers de l’enfermement, de la solitude, du repli sur soi, du mutisme et de l’expression de sa maladie mentale par la ritualisation de ses crimes en ce qui concerne le criminel, et, au travers des allures de criminels pour singulariser les policiers) sont autant de marques qui impriment ce film que de nouveautés dans le genre du policier français. Marques qui influenceront surtout la carrière de Delon et de réalisateurs étrangers tels John Woo pour le film qui le révéla The Killer, et, Jim Jarmush pour Ghost Dog.
*Le cinéma selon Jean-Pierre Melville, Rui Nogueira, Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma, Paris, 1996.
*Le cinéma selon Jean-Pierre Melville, Rui Nogueira, Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma, Paris, 1996.
Bibliographie
Le cinéma selon Jean-Pierre Melville, Rui Nogueira, Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma, Paris, 1996.
Jean-Pierre Melville, Zimmer / de Béchade, Edilig, Filmo 1, Paris, 1983.
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Si je peux faire une remarque d'ordre pratique :
RépondreSupprimerPeut-être pourrais-tu faire moins de paragraphes séparés, donc en réunir certains. Ou alors mettre plus de photos pour soulever tout ça. C'est juste un avis.