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Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.

mardi 30 août 2011

Sunset Boulevard

Mardi 30 Août 2011
Analyse d'une séquence


Sunset Boulevard, Billy Wilder, 1950, USA.

Joe Gillis, un scénariste sans talent, fait une rencontre hasardeuse qui va bouleverser son existence. Norma Desmond, ancienne gloire du muet, vit recluse dans sa luxueuse villa à Los Angeles en compagnie de Max von Meyerling, son majordome, ancien metteur en scène et ex-mari. Desmond lui propose de travailler au scénario du film qui lui permettra de retrouver sa place à Hollywood. Gillis accepte, s'installe chez elle et devient son amant. Mais l'actrice vit dans un monde de fantasmes et d'illusions qui s'avère néfaste pour Gillis.

La séquence analysée se concentre sur la rencontre entre les deux personnages principaux du film : une star des années 1920, Norma Desmond, et un scénariste des années 1950, Joe Gillis. Elle débute à 11'40'' (la voix-off de Gillis décrit l'intérieur du garage) et finit à 19'40'' (le travelling montrant Gillis s'asseoir et la voix-off commentant son action).

Cette rencontre est narrée sur deux modes. La narration auditive adopte une vue rétrospective de Joe Gillis (incarné par William Holden) sur sa propre histoire alors que l'image montre le caractère direct de l'action. Ces deux vues s'opposent et se contredisent à quelques reprises. Billy Wilder utilise les capacités maximales des deux outils principaux du cinématographe (relatifs à ses deux périodes majeures) : l'image sert les intérêts d'une narration visuelle du métrage en hommage à la force d'une image sans son (propre au cinéma muet) et la voix-off sert la narration en hommage à l'avantage premier du cinéma parlant.

Billy Wilder utilise le son et l'image pour plonger le spectateur dans la subjectivité du personnage. Leurs utilisations ont-elles des buts différents ? Y a-t-il deux niveaux de lecture à Sunset Boulevard, l'un visuel et l'autre auditif ?


La subjectivité de Joe Gillis

La mise en image œuvre comme une narration factuelle. Elle est objective en focalisation zéro. Les plans suivent les mouvements de Joe Gillis. Les travellings comme les panoramas retranscrivent ses points de concentration et soulignent ses impressions (le travelling-avant sur le cadavre du singe). De nombreux passages d'une échelle de plan à une autre (dans le même plan) indiquent des changements évolutifs pour sa perception ; exemple : l'association des deux plans lors de son entrée dans la villa : le majordome surgit au premier plan d'un plan large pour dévoiler une partie du quiproquo suivi d'un plan moyen où Gillis s'arrête brusquement dans sa montée des escaliers (le plan s'élargit et le suit dans sa découverte des lieux).

Le procédé auditif est simple. Une musique extradiégétique souligne les émotions et la surprise de Gillis. Cette musique suit sa progression de l'extérieur à l'intérieur marquant un temps d'arrêt alors que Gillis se fige dans l'escalier. La musique plonge dans le flot émotionnel de Gillis.

Gillis est dominé par Desmond. Le cadrage et le point de vue servent la fascination qu'elle crée sur le scénariste. La première apparition visuelle de la star est signée d'un zoom insistant pour affirmer l'effort que doit faire Gillis pour la localiser. Le cadrage la favorise. Les échelles de plans sont inégalitaires : des gros-plans fixes de la star soulignent l'impression (tel que ses apparitions dans ses films muets) qu'elle produit sur Gillis. Dans le salon, ce schéma se répète. Le travelling-avant qui clôt la séquence marque la soumission du scénariste face à l'actrice. La mise en image de cette séquence est une construction vers ce plan.


La mise en image et la voix-off

La mise en  image et la narration des dialogues en voix-off affirment deux versions différentes de cette scène. L'image est le témoin d'un passé non commenté par Gillis. L'image donne une autre lecture du personnage que la voix-off retravaille (en minimisant les mauvais aspects et essayant de les attirer à son avantage). Le personnage principal est visiblement soumis à l'environnement (il est incapable de faire valoir la vérité face au majordome) alors que la voix-off fait entendre son détachement et de l'aisance face à la situation.

La voix-off de Joe Gillis est celle d'un mort. La narration sonore en focalisation interne est rétrospective. Or un individu revenant sur des faits peut les déformer, en omettre et décrire une version arrangée d'une histoire. Ainsi, lorsque Gillis obéit à l'ordre donné par Desmond de s'asseoir (dernier plan de la séquence), l’œil du spectateur le voit se soumettre par lâcheté (et besoin) mais son oreille l'entend fanfaronner et justifier ses motivations comme s'il contrôlait la situation. La voix-off de fin de séquence n'est pas en rapport avec l'image. Cette simple déformation des événements révèle le caractère cynique et manipulateur de Gillis plutôt que ses impressions.

Le son et l'image servent tous deux la subjectivité du personnage de deux manières différentes. L'image permet de souligner la subjectivité sur ce que Gillis choisit d'écarter alors que la voix-off sert une subjectivité de Gillis représentant la part de ce qu'il veut raconter. En créant ce décalage, Billy Wilder révèle les deux niveaux de lecture de son œuvre : l'honnêteté de sa mise en image et la malhonnêteté du récit du scénariste.


Deux angles au film ?

Non. Le son sert à comprendre la psychologie et le caractère de Joe Gillis alors que l'image représente les événements. Billy Wilder n'explique pas par deux méthodes différentes la même chose : il montre que le langage et le sentiment sont deux choses distinctes. Grâce au langage, Gillis peut mentir alors que l'image trahit sa version de l'histoire. Gillis est lâche (mauvais scénariste, sans emploi, fauché) et il se soumet à un système qui ressemble au système hollywoodien mais qui est dépassé (le scénariste n'est qu'un nègre pour les stars de l'écran et le réalisateur est un majordome). Billy Wilder utilise la voix-off pour souligner que Gillis se ment à lui-même et essaie d'impressionner le spectateur afin de redorer son blason. Billy Wilder raconte en images la version dédramatisée (minimisation propre à la légèreté d'esprit du scénariste) que Gillis cache. La voix-off éclaire la psychologie du personnage principal. La mise en image est autant construite pour éclairer le spectateur sur les sentiments de Gillis que pour le prendre dans sa narration.


Intérêt de l'analyse

L'intérêt de cette étude a été de mettre en évidence une manière différente de concevoir les relations entre le son et l'image. Pour traiter ce problème, il a fallu séparer la subjectivité mise en évidence par la voix-off et la subjectivité suggérée par la mise en image (et traiter leurs intentions).

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