La sélection de Donc Acte !

Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.

jeudi 26 janvier 2012

Le cinéma d'horreur français : seconde partie

Et mince, je ne peux pas ! J'ai crevé mes deux pneus de vélo ! ... et ceux de rechange.



Calvaire
(2004) de Fabrice du Welz : Il faut croire en ce que l'on voit pour ne pas prendre en compte les incongruités présentés par le récit. Le ton est sec et les actions sont froidement présentées mais les éléments narratifs "étranges" s'ensuivent et poussent à essayer de deviner la prochaine bizarrerie de Calvaire. En résumé, jusqu'à la moitié du film, une sinistrose bien particulière caractérise la France que le chanteur Marc Stevens (Laurent Lucas) parcoure de long en large en faisant payer 30 euros son show musical sur fond de boîte à rythme : les individus manquent cruellement d'affection et de sexe. Les femmes se jettent sans équivoque sur l'artiste-chanteur ... et les hommes font de même.

Malgré une première partie intrigante, Calvaire se révèle confus et pénible lorsque le film montre Marc Stevens passer son temps à sangloter. Certes il a le visage à moitié couvert de sang et Bartel (Jackie Berroyer) l'a habillé en robe, lui a rasé le crâne et l'a crucifié. Certes, Marc se fait sodomiser par les autres villageois. En somme, il faut se mettre à la place de Marc Stevens pour trouver un réel intérêt à son calvaire car, cinématographiquement, l'imagerie ne réserve que quelques images d'inquiétants et beaux paysages sur la fin. Calvaire n'enrichit malheureusement pas certaines des étrangetés de son récit (comme la mise au point de Bartel avec les villageois à la buvette ... j'aurais aimé en savoir davantage) et n'a pas de véritable conclusion. Du coup, Calvaire a tout d'une fable horrifique à moitié réussie dont je suis ressorti sceptique, notamment à cause de la partition peu approfondie et très banale du spectacle horrifique.





Haute Tension (2003) d'Alexandre Aja : Il y eut une période où je dévorais livre de terreur sur livre me terrifiant. Un polar, un thriller, un suspense, de l'horreur, du fantastique, de la SF paranoïaque, un récit dit plus littéraire, ... pouvaient me satisfaire. Graham Masterton, H.P. Lovecraft, Richard Matheson, Theodore Sturgeon, Robert Bloch, Ray Bradbury, Dean Koontz, Clive Barker, Robert Heinlein et Kurt Vonnegut Jr. ont fait mon bonheur. Tout cela se déroulait entre des visions de films d'horreur, à suspense et du hard rock. Et puis un jour, j'avais tout lu, vu et vécu ... tout au moins, j'en ai eu l'impression.

Quelques années après, j'ai découvert un résumé de film à la télé, sur une chaîne connue. Et mon cerveau s'est réveillé. Ma mémoire a fait un bon. Mes yeux sont devenus tout rond. Je me suis félicité d'avoir de la culture. Je me suis fait la réflexion : "Le fils d'Alexandre Arcady a fait l'adaptation d'Intensité de Dean Koontz. Les choses commencent à bouger en France pour le genre !" et je suis allé voir Haute tension d'Alexandre Aja.

Je n'avais ni tort ni raison. La première partie de Haute tension est une adaptation du roman Intensité de Dean Koontz. Sauf que le roman de l'écrivain américain n'est pas cité au générique et que la seconde partie du film ne ressemble en rien au roman. Je me suis donc posé une question : est-ce que ce jeune homme et son compère scénariste, Grégory Levasseur, connaissent-ils Intensité de Dean Koontz ? D'autres se sont posés la même question. Étrangement, personne n'a à ma connaissance de réponse (si j'étais allé à une rencontre FNAC-Aja-public, peut-être que ... si j'avais acheté le DVD, peut-être que dans les bonus ...).


Je vous mets le résumé amazon.fr du livre Intensité de Dean Koontz : "Chyna, 26 ans, est invitée à passer un week-end dans la famille de sa meilleure amie. Au milieu de la nuit, un hurlement déchire le silence. Un homme est en train de massacrer les habitants de la maison. Mais il ignore que Chyna est présente [...]"

Je vous mets le résumé Allociné.fr de Haute Tension d'Alexandre Aja : "Marie, une étudiante de vingt ans, révise ses examens dans la ferme isolée des parents de sa meilleure amie. En l'espace d'une nuit, un tueur, qui ignore son existence, assassine à tour de rôle les membres de cette famille..."

La belle affiche

Connaissant donc l'histoire, je misais sur la mise en scène d'Aja pour relever l'intérêt et la tension dramatique. Mais il a fallu que le métrage atteigne sa seconde partie pour me faire lever un sourcil. J'explique : Cette seconde partie de Haute tension n'a rien à voir avec Intensité. La scène à la pompe à essence (la plus réussie du film) est le point de rupture du récit de Haute Tension avec Intensité. Dans Intensité, la jeune Chyna passe l'autre partie du voyage dans le coffre avant de se faire capturée par le tueur dans sa maison. S'ensuit un combat final assez violent. Intensité est un bouquin qui se lit très bien, très vite et est divertissant. Il remplit le cahier des charges des thrillers américain : un pitch original, un personnage appréciable, des situations haletantes et un tueur effrayant. Je recommande ce texte réussi de Dean Koontz. Quant à Haute tension, Marie se révèle être la meurtrière qui a décimé la famille de son amie (cette dernière comprise ... dont elle était amoureuse). Comme quoi, Haute tension d'Alexandre Aja produit par Luc Besson, Robert Benmussa et Alexandre Arcady n'est pas un plagiat d'Intensité de Dean Koontz. Je viens de vous en donner la preuve.





Brocéliande (2002) de Doug Headline, si c'est son vrai nom, fait son Dario Argento, si son vrai métier est d'être metteur en scène, en reprenant des gimmicks du maître de la terreur à l'italienne (le costume du tueur, la vision subjective lors des meurtres, le témoin qui ne se rappelle pas d'un élément clé et une scène en amphithéâtre. Dans Inferno (1979) de Dario Argento, une sorcière met au supplice le jeune héros grâce à une mise en scène ébouriffante - dans Brocéliande, la jeune héroïne se retourne avec surprise sans raison). Mister Doug sous-développe son nom, sa mise en scène et son récit. Il n'explique pas les 3/4 de ce qu'il devrait montrer ou suggérer pour qu'on soit intéressé par son film. J'ai compris ceci : un jeune homme dénommé Erwan voulait devenir un monstre en utilisant la magie des druides, il a tué 2 professeurs pour y arriver ... pourquoi ? dans quel but ? Là est le mystère de Brocéliande. Ma meilleure explication est qu'Erwan voulait se balader torse nu, montrer ses muscles hypertrophiés par une potion magique, ouvrir son hideuse gueule de monstre pour pousser des cris et tuer tous les témoins de sa métamorphose ayant eu lieu dans un chaudron (c'est vrai que ça manque de classe). Quant à la partie finale, elle est une course-poursuite dans les dédales de catacombes celtes. Au passage, on est censé tout comprendre de la langue et des signes des druides, langue plus morte que le latin et le grec réunis.





Promenons-nous dans les bois (2000) de Lionel Delplanque : Un groupe de jeunes en tricots de corps (filles et garçons) se retrouvent bloqués dans une maison au fond des bois avec un cadavre dans une chambre et un tueur à tête de loup dans les environs. Pour être franc, je serais bref. Je n'ai jamais vu autant de plans du même escalier dans un seul film. Même L'année dernière à Marienbad (1961) d'Alain Resnais (film dont les seuls protagonistes sont une maison et une voix-off) ne compile pas autant de plans d'un seul et même élément architectural. Je n'ai jamais vu de toute ma vie une pareille redondance en essayant de dégager une tension de la présence de marches comme dans Promenons-nous dans les bois.

"Attention ! L'escalier de la peur ! Vas-y, faut mater le plafond et se plaquer à un poteau pour qu'il ne nous remarque pas et que nous nous en sortions vivants !"




Bloody Mallory (2001) de Julien Magnat : Censé être une sorte de Buffy contre les vampires à la française, Bloody Mallory se bat contre des démons (dixit l'affiche). Ok pour moi. Normalement, j'écrirais bien un petit quelque chose pour caractériser avec efficacité ce métrage mais je ne me rappelle de rien. Sérieusement, ce n'est pas une blague. Je n'ai aucun souvenir de Bloody Mallory. Rien. Nada. Que dalle. Quechi. Zéro. Rien. Rien du tout. Peau de balle. Peau de fesse. Le néant. Même pas un élément de chaos. Rien. Rien. Rien à part que le film existe.





Martyrs (2008) de Pascal Laugier est un film goresque dont l'ensemble est dédié à montrer de la chair être découpée, tailladée, explosée, trouée et frappée. Et rien d'autre. La preuve avec la fin que je vais vous gâcher : une secte, cherchant à savoir ce qui se passe après la mort, fait des martyrs. Ses membres plongent des femmes dans le noir, les attachent, les frappent, les torturent, les dépècent afin qu'elles se transcendent et voient dans la mort ce qui s'y trouve et en reviennent pour témoigner. Sonia, l'une des victimes suivies durant tout le métrage, réussit ce périple. Sonia en fait part à mademoiselle, la chef de la secte. Du coup, mademoiselle qui avait organisé une rencontre avec les membres influents de la secte, préfère se suicider. Mademoiselle laisse son groupe de fidèles sans connaissance de l'expérience post-mortem. Martyrs 2 est-il en pré-production ou la fin est-elle ironiquement maladroite ?

Peu importe que Pascal Laugier ait voulu terminer son film sur une note de vanité profonde pour punir les membres de la secte en les laissant dans l'ignorance ("tout ça pour ça, tout ça pour rien"). Si cette fin est pensée comme une ironie servant de morale pour les fidèles, il faut néanmoins garder à l'esprit que ces fanatiques ont passé 17 années à torturer des jeunes femmes pour découvrir cette "vérité toute relative" qu'est l'au-delà. Revigoré par la possibilité de savoir, la suite des événements est logiquement constituée de la répétition des tortures infligées à d'innocentes jeunes femmes. J'aurais préféré que mademoiselle partage le témoignage de Sonia (sa mort n'aurait pas été vaine) afin que la secte ne recommence pas ses exactions. Que vont conclure les disciples du martyr ? Le suicide de mademoiselle n'est-il pas la preuve que la mort est tellement extraordinaire que mademoiselle ne pouvait attendre pour "vivre" l'expérience ? Le rythme des enlèvements et tortures risquent donc de s'intensifier vu le résultat obtenu.





A l'intérieur (2007) d'Alexandre Bustillo et Julien Maury : "Une date dans l'histoire du cinéma", selon les anciens collègues de Bustillo et Maury à Mad Movies. L'ouvrage était même censé être digne de John Carpenter et de sa Nuit des masques / Halloween (1978). A l'époque, j'avais reniflé la déliquescence du magazine culte dès que le système de copinage s'était mis en place. Quelques années après, en janvier 2012, je me suis mis à écrire ce message sur le cinoche d'horreur français : j'ai donc vu A l'intérieur, immanquable chainon manquant entre les relations incestueuses presse-cinéastes et films boursoufflés.

Avec la mise en scène d'Halloween, John Carpenter réussit à rendre angoissant un coin de rue de banlieue proprette car il a établit que le croque-mitaine peut surgir de n'importe où et que la subjectivité des personnages était sujette au doute. Big John convainc le spectateur que ce qu'il voit n'est peut-être pas véridique et que le mal est difficile à percevoir avant qu'il ne soit trop tard et tout proche.

Dans A l'intérieur, Bustillo et Maury filme l'entrée de la maison où se déroule l'action pour voir les personnages entrer et sortir du lieu. Quant au doute sur l'apparition du mal : la victime, insupportable peste incarnée par Allyson Paradis, passe 2 minutes à photographier son agresseur (Béatrice Dalle) à travers les portes vitrées de sa maison et développe tranquillement les photos dans sa chambre noire privée. Elle passe ensuite une longue demi-heure à se cacher dans sa salle de bains après que l'agresseur soit entré dans la maison.

Avant de voir A l'intérieur, je croyais sincèrement que l'indigence du cinéma d'horreur était représenté par Promenons-nous dans les bois. Mais tout est bon dans le cochon : finalement, cet escalier faisait quand même un peu peur. Dans le cas de A l'intérieur, la copie conjugue des zéros pointés en tout : cadrage, raccord, jeu d'acteur, travail champ/hors-champ/contre-champ, suspense, mystère, sympathie, surprise, efficacité, émotion, scénario et intérêt quelconque. A l'intérieur en 3 mots : pffffffff, beurk et nul.




La Horde (2008) de Yannick Dahan et Benjamin Rocher : l'affection que je pourrais avoir pour La Horde est influencée par la verve de Yannick Dahan (sympathique icône de l'émission télévisée câblée Opération Frissons qui n'existe plus) car je sais qu'en lisant ma critique il répondrait du tac-au-tac avec un phrasé assassin. Je ne lui en veux pas. Mais, sans cette affection, voilà ce que ça donne. Si l'apparition des zombies était mieux gérée, je pourrais dire que le film se tient sur plus d'un quart d'heure (les personnages de policiers bourrins sont taillés avec un tendre amour et l'action réserve ses surprises) ... mais tout prend feu dans la mégalopole parisienne et sa banlieue en moins d'une minute, des zombies nulle part et des zombies partout en autant de temps qu'il faut pour lire cette entre-deux-virgules, un zombie sort hypertrophié des toilettes (je précise que les crocs et la mâchoire ont poussé entre le temps de sa mort et celui de sa résurrection), les humains entourés de zombies ont le temps de voir venir. Sans cela, le script de La Horde se tient.





L'élément le plus meurtri dans le cinéma d'horreur français est la chair. La torture, l'humiliation de l'apparence, la souffrance physique et la mort sont les essentielles constituantes de l'horreur et de la peur hexagonale. Notre terreur concerne le corps et fait preuve de craintes liées à la matière. L'esprit n'a pas de souci à se faire. Une minorité de films se penche sur des histoires de possession, de fantômes, de malédictions, de psychoses, de névroses, de la perte de l'identité et de hantises ; seuls Maléfice, Saint-Ange et Derrière les murs possèdent un intérêt au sort de l'âme/l'esprit/la raison/la logique/la personnalité. Je vous quitte sur cette méditation franco-française. En tout cas, si vous n'êtes pas français et que vous êtes parisien, si vous voyagez en France, évitez d'aller en forêt et en milieu rural, vous vous ferez humilier, torturer, violer et tuer. Sur ces bons mots, bien à vous.

5 commentaires:

  1. J'en suis à mi-article, mais je t'annonce déjà que c'est un régal à lire et que je te rejoins tout à fait sur les cas Calvaire (qui m'a fait un bon effet lorsque je l'ai découvert... ah c'était il y a quelques années et j'étais plus impressionnable qu'aujourd'hui !) et Haute Tension, avec lequel je ne pourrais sans doute pas m'empêcher d'être plus sévère.

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  2. Et évidemment, ce que tu dis du magazine Mad-Movies est très vrai. Je situerai même le commencement de sa déliquescence quelques années avant. :(

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  3. Pour Mad Movies, j'avais réprimé un gros éternuement à la reprise du magazine par je ne sais quel groupe de communication et de média. JP Putters avait lâché l'affaire. J'étais méfiant. Le coup de A l'intérieur, chef d’œuvre et date de l'histoire du cinéma, a été le moment précis où l'épée de Damoclès est tombée sur le râble du madmag devenu agence de marketing.

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  4. J'ai profité d'avoir du temps au boulot cet aprèm pour m'envoyer tes deux gros article sur l'horreur à la Française d'une traite. D'abord chapeau, pour avoir maté autant de merdes d'une part, pour en avoir tiré de si chouettes articles d'autre part !

    A ta place j'aurais sans doute été encore plus virulent que toi dans tes derniers paragraphes bilans. Tous ces films (j'en ai vu à peine deux ou trois) me semblent tous être complètement à chier et il est temps de dire à leurs auteurs de lever le pied et de réfléchir juste quelques minutes avant de croire révolutionner le cinéma en filmant toujours plus de tripailles dégueulasse et sans intérêt. Ont-ils seulement conscience, eux qui se réclament des grands maîtres du genre, de ne parvenir qu'à dégoûter le spectateur par la force des choses avec du porno sanglant, et sans jamais que la question de la mise en scène, du suspense, tu talent, du scénario, des personnages ou toute autre question ayant un lien aussi minime soit-il avec le cinéma, n'entre en compte. L'affiche du film qui dit en énorme : "Ce film contient un tas de scènes répugnantes" a fini d'affirmer l'unique volonté de ces réalisateurs : faire parler d'eux en étalant de la barbaque partout et en se tripotant dedans. C'est pathétique.

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  5. Je dois dire que j'ai regardé Martyrs, Sheitan, A l'intérieur, Calvaire et Frontière(s) pour l'occasion de cet article. Je n'avais exprimé aucune envie avant cela de les voir. Je voulais faire un tour d'horizon hexagonal d'un genre que j'adore. A part Calvaire qui est original, j'ai surtout parcouru ces films de long en large (essentiellement pour les screencaps) car leurs prémices m'ont dégoûté d'aller plus loin.

    On est d'accord. Les matheux en gore censés donner dans l'horreur sont pitoyables en inventivité. Il n'arriverait même pas à transmettre l'émotion de la joie qu'ils ont dû ressentir quand ils ont signé les contrats de cession de droits d'auteur aux producteurs chargés de leurs cas. Les producteurs ne sont pas à oublier dans cette histoire. A vrai dire, je crois même qu'il n'y a qu'un seul et unique producteur "d'horreur" sur toute la France qui n'a qu'une vision du genre extrêmement limité. C'est toujours la même histoire et le même spectacle de tortures et Cie. L'horreur à la française est affligeante.

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