La sélection de Donc Acte !

Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.

jeudi 29 mars 2012

Black Swan

Un avis en vaut bien un autre

Lorsque je suis allé voir Black Swan (Darren Aronofsky, 2010, USA) dans un petit cinéma de quartier, je n'ai pu m'empêcher de constater qu'une spectatrice assise dans la même rangée que moi se tordait de plaisir sur un siège. Elle était "dans" le film. Elle en faisait trembler le quatrième fauteuil à sa gauche dans lequel j'étais installé. Elle a même émis un petit cri de douleur lorsque Nina s'est arraché un ongle de doigt de pied. Elle a crié à l'écran à la mère de Nina d'aller se faire voir chez les grecs. Elle a failli planter sa voisine du rang de devant qu'elle voyait comme sa pire ennemie. Elle et moi avons partagé les mêmes frissons lors de la "métamorphose" de Nina. Elle a carrément fait quelques pas de danses sur son fauteuil lors du final. Mais, lorsque la lumière s'est rallumée, lors du générique de fin, cette même personne recroquevillée sur elle-même, bien lotie dans son fauteuil, a poussé un énergique "Qu'est-ce que j'ai été déçue !" à son copain.

Je suis du même avis que cette personne. J'étais assis face à un écran minuscule dans une salle qui fait penser que le débarras du bâtiment a été relooké, vous savez une de celles qui fait penser que l'on vient de se faire arnaquer en payant sa place. J'ai donc fait tous les efforts nécessaires pour apprécier Black Swan. Bref, j'avais tort de penser à mal des exploitants. Et ne passant pas le fait que je l'ai revu en DVD (payé aussi) tranquillement à la maison, j'ai pris davantage de recul. Il se trouve que mes 2 avis se valent. J'ai tremblé et j'ai été déçu. Miracle des miracles. Je partage mes 2 opinions : la blanche et la noire, au cinéma et chez moi.


Mon avis en salle est un avis partagé avec l'engouement populaire : Black Swan est parfait pour ce qu'il est. Une fois que le spectateur est en emphase avec Nina, qu'il fasse corps et esprit avec elle, qu'il est "dedans la pelloche", le film donne des frissons.

La première séquence permet de voir le cygne noir subrepticement et magnifiquement envouter le cygne blanc. Que d'énergie ! Que de vitesse ! La caméra et les protagonistes n'arrêtent pas de bouger !

La seconde séquence voit Nina dans son lit rêver les yeux ouverts. Elle s'entraîne devant un miroir. Comme le cygne noir dans la première séquence, la mère passe rapidement dans son dos. Puis la relation mère-fille se précise. La mère pousse Nina à suivre ses aspirations déçues de danseuse en vantant les mérites de son enfant et l'enlace. Il y est question d'une blessure sur l'épaule. La mère est en noir : je me suis dit "voilà le sujet du film : la mère presse son enfant, elle est le cygne noir". La fille incarnant les aspirations de sa mère, il est difficile pour elle de jouer au cygne noir qui la renvoie à sa soumission et à la domination dans le rapport mère-fille. Sa chambre est rose et est le seul endroit chaud et agréable pour elle. Nina est une enfant. Elle cache ses bobos. Elle est toujours à la pèche aux nouvelles. Sa mère lui enlève ses boucles d'oreille et lui lisse les cheveux au lit. La mère l'accompagnait à tous ses cours au début, sans quoi sa fille aurait été perdue. "Briller" est l'objectif visé. Il est avoué sur une musique de berceuse dans sa chambre d'enfant. L'amour entre elles n'est déclarée qu'après l'obtention du rôle du Cygne par Nina.

Mais la transformation de Nina en cygne noir ne commence que lorsqu'elle s'identifie sexuellement : "Whore" ("putain" en anglais) sur le miroir. Obligée par la situation (l'obtention du rôle de séductrice allant de pair avec celui de la chaste), elle commence à se dégrader psychologiquement pour pouvoir accepter la séparation et la contestation d'autorité de sa mère. Nina cherche donc ce qu'elle estime être son côté sombre, sa force séductrice, son mérite personnel. Elle veut rompre ses automatismes et le contrôle de soi-même afin d'être les meilleurs cygnes qui soient. Elle aveugle même Beth, "la star à la retraite", pour aveugler une "mère". Beth, autre figure féminine d'autorité, est la ballerine vieillissante (interprétée par Winona Ryder) qui est victime de vol d'objets par Nina. Cette dernière s'approprie des parts de son rêve/objectif : ce qui est concret dans l'accomplissement de "ses ambitions de sa mère". Beth est d'ailleurs citée comme référence incontournable par la mère. Que ces deux femmes ne voient pas le spectacle ! Nina remplit les ambitions de sa mère sans vouloir que sa mère n'y assiste ! C'est son effort à elle ! Elle veut la reconnaissance pour elle. Au point d'effacer les traces des influences qui l'ont poussé et motivé jusque là. Ce qui explique qu'elle se sente coupable et qu'elle se plante un morceau de miroir tout autant qu'elle cherche à détourner son trac en s'infligeant une souffrance insoutenable.

La recherche de la gloire, le reflet de ses parents et l'éclatement de la personnalité sont les thèmes de Black Swan. On en vient même à réfléchir : ne sommes-nous pas tous le cygne noir de quelqu'un et le blanc de quelqu'un d'autre ? Nina est le cygne noir de Beth qui est son cygne blanc, sa mère est son cygne noir dont elle est le cygne blanc, Nina est le cygne blanc de Lily (Mila Kunis) qui est son cygne noir. J'ai pensé à Perfect Blue (une starlette en recherche identitaire voit des doubles d'elle partout), à Polanski (une femme perd la tête) et aux Les Chaussons rouges (une danseuse et un grand rôle). Des sacrées références. J'y ai même tellement pensé que ça m'a gêné à l'encolure. Mes cols sont pourtant larges. Des effets sont trop appuyés (trop de miroirs et de doubles, trop de musique). Au final, "de quoi parle Black Swan ?", peu importe, la fin fait frissonner. La productrice du design a même apprécié Darren Aronofsky parce qu'il approche sa mise en scène de façon organique.


Black Swan, Darren "a trop de huskies" Aronofsky, 2010, USA.

Mis à part une séquence d'introduction très réussie en terme de rythme et de simplicité pour transmettre les émotions chavirées de la danseuse (sur le mode logique de la danse) qui résume tout le récit à venir, les scènes qui s'ensuivent sont plates et sans originalité.

On peut voir Nina dans son lit, Nina s'exercer devant un miroir, Nina rigoler avec sa mère au petit-déjeuner, Nina prendre le métro, Nina croire voir quelque chose d'intéressant, Nina ne pas discuter avec les autres danseuses, Nina se préparer à danser, Nina voler dans la loge de Beth, Nina s'entrainer dans une pièce avec d'autres danseuses, Nina partager une mauvaise information avec une collègue, Nina dire à sa mère qu'elle a eu le rôle et qu'elle l'aime, Nina ne pas manger du gâteau, Nina s'entraîner danser, Nina croiser une autre femme à l'entrée du métro, Nina être harcelé sexuellement par le metteur en scène, Nina être timide, Nina stresser, Nina voir des doubles d'elle-même parce qu'elle joue deux rôles, Nina se saouler et sortir en boîte. Seules les scènes finales remontent le niveau de la tension (parce qu'elles mêlent résolution, fuites et actes violents).

Je ne passe pas sur les plans casquette qui font appartenir la coiffure de Vincent Cassel à la couche atmosphérique, la caméra tremblante qui  essaie de capter des choses à droite et à gauche (censée nous introduire dans le film et nous maintenir dedans : ça marche quand ça marche) et l'omniprésence de la musique. Le ton est trop dramatique pour les événements dépeints à l'écran car Black Swan est un film sur un sujet mineur : le stress d'une danseuse avant de monter sur scène tout en repoussant les avances de son patron, à qualifier de harcèlement sexuel, et en signalant à sa mère qu'elle réussit mieux qu'elle.

En somme, Black Swan donne le conseil de résoudre tous ses soucis d'angoisse (le trac) par le sexe. Aronofsky prône "le cul, le cul, le cul." Dommage qu'il n'ait pas gagné l'Oscar du meilleur film avec un tel propos. En emphase, Black Swan fonctionne très bien. Il est virevoltant si notre regard partage les mouvements de la caméra. En prenant du recul, l'histoire est anecdotique. Et la caméra qui bouge trop ne montre rien de très intéressant. Elle bouge beaucoup pour pas grand chose. Et, après coup, une seule question persiste : Nina a-t-elle vraiment aveuglé Beth ?

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