La sélection de Donc Acte !

Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.

mardi 12 juillet 2011

Doubt

Lundi 11 Juillet 2011
Soir

Doubt est un film réalisé en 2008 par John Patrick Shanley. Le metteur en scène en 1990 de Joe Versus the Volcano est également l'auteur du scénario de Doubt et de la pièce de théâtre dont il a maitrisé l'adaptation cinématographique. John Patrick Shanley a choisi de dépeindre une atmosphère paisible qui lui semble être idéale à la naissance du doute à partir d'éléments fugacement perçus. Il expose ainsi à la suspicion le milieu austère d'un internat catholique de New York où la rigueur et la discipline se font respectées par une mère supérieure implacable, la sœur Beauvais interprétée par Meryl Streep, alors que la charité et la bonté chrétienne sont l'apanage du prêtre principal, le père Flynn joué par Philip Seymour Hoffman qui offre un regard bienveillant et un accompagnement compréhensif et sincère à ses ouailles. Il inspire l'espoir et s'attire ainsi les bonnes grâces des fidèles du Bronx.


Au contraire du père Flynn très populaire, la sœur Beauvais, pourtant charitable envers ses pairs, tient au bout de sa poigne acérée un microcosme où des éléments impertinents essaient de contourner les strictes règles. De bon œil, elle prodigue de nombreux conseils sur la nature humaine à sa jeune protégée, la soeur James interprétée par la délicieuse Amy Adams. Toujours en quête d'évasion ou de tricheries, l'individu est un effronté à qui il faut enseigner la droiture. De bonne dent, elle accroche la photographie encadrée d'un pape appartenant au passé au tableau noir de la classe de la jeune professeur afin que cette dernière crée l'illusion d'avoir des yeux derrière la tête. Le tour de passe-passe revient à rester attentif au reflet des garnements prêts à tout pour semer la zizanie.



La longue installation durant la première moitié du métrage sert à montrer les habitudes des pensionnaires de l'internat et les normes comportementale et environnementale avant qu'un élément inhabituel ne vienne lever un "doute". Et quel doute ! Le père Flynn est soupçonné de pédophilie par la sœur Beauvais et la naïve sœur James. Avec un minimum de preuves (un t-shirt remis dans le casier de l'élève par le père Flynn et l'haleine alcoolisée de la supposée victime après un rendez-vous avec le serviteur de Dieu), l'histoire mise bout-à-bout par une jeune femme facilement impressionnable aide la sœur Beauvais à se persuader que le seul supérieur qu'elle ait dans cette institution est responsable d'attouchements sexuels envers le premier élève noir admis à cette école. Mais la sœur Beauvais est-elle aussi sujette au doute ? Ses accusations sont-elles bien intentionnées ? Est-elle jalouse du père Flynn ? Ce dernier est-il vraiment coupable ?

Inspiré par la simplicité de la vie décrite à l'image, le film est plaisant à regarder jusqu'à la scène pivot du film (à moitié chemin entre les deux bouts) dans laquelle les deux soeurs font part de leur doute à l'encontre du père Flynn. Filmée essentiellement en plan poitrine, les expressions des visages sans maquillage, la gestion des mouvements des mains, les regards, la droiture et les courbatures des corps sont portés par les acteurs brillants que la mise en scène sert. Cette dernière ne souligne même pas les déplacements dans l'espace à leur juste mesure. Il faut recoller les morceaux de mémoire car le montage est trop saccadé pour pouvoir apprécier les localisations et distances entre les personnages (qui participent toujours à la compréhension des émotions et des événements en cours). Le père occupe la chaise de l'accusé dans le bureau de la sœur Beauvais (elle essaie donc de l'amadouer). L'accusatrice occupe ensuite cette même chaise lorsque le moment de dévoiler les soupçons arrive. Elle fait plusieurs pas en arrière après avoir dévoilé les faits en sa possession vis-à-vis de l'alcool bu par l'élève alors que le père s'apprêtait à emprunter la sortie. Tout cela est malheureusement morcelé, je n'ai compris l'importance pour le père Flynn de se lever de la chaise du bureau (il laisse la place à son accusatrice ; clé de la jalousie de la mère supérieure pour son seul et unique supérieur dans cette enceinte) qu'à l'écriture de cet article.

Pendant ce temps, la sœur James reste assise, trop gênée pour assumer vraiment ses doutes. A part pour servir le thé, elle ne se lève de sa chaise qu'une fois que le père Flynn ait expliqué que le jeune garçon avait bu du vin de messe sous la contrainte d'un camarade de classe et que l'homme de Dieu avait souhaité les couvrir. Joyeuse et pressée d'en finir avec cette histoire, la sœur James se voit opposer son désir de non-lieu à la moquerie du sentiment de soulagement par la sœur Beauvais.

Le choix des gros plans et des plans poitrine dans cette scène permet de mettre en rapport la lecture d'un visage et l'écoute d'une voix. Quant à lire la culpabilité sur un visage alors que l'expression neutre de l'accusé cache celle de la stupéfaction, la prise de parole du père Flynn s'avère alors salvatrice. Ses arguments reposant sur l'impression éprouvée par le témoin des faits douteux aident à mettre en perspective que le doute est à mettre en doute.

L'expression du visage n'indique pas davantage de vérité que les mots. Le mensonge est toujours possible, que ce soit l'expression du visage, du corps, le ton de la voix et les mots choisis. L'existence perpétuelle du doute et la gravité de porter des accusations refont surgir l'importance de préserver une réputation car, même si les deux sœurs cherchent à savoir la vérité, elles n'en souffrent pas moins de porter une accusation. Leur crédibilité est également en jeu. Le doute rougit leurs yeux lorsqu'elles expriment leur crainte au père soupçonné, même si la sœur Beauvais se convainc du pire suite aux explications du père Flynn qui s'avoue mécontent.


Suit une messe dite par le père Flynn durant laquelle il explique que les rumeurs ne sont que des plumes qui se perdent dans le vent. John Patrick Shanley s'essaie à un moment lyrique de mise en scène en montrant l'air d'une cour d'immeuble, cordes à linge étendues entre eux, être envahi par des peluches d'oreillers. La contre-attaque du père Flynn s'organise en essayant de se lier d'amitié avec la sœur James désormais à couteaux tirés entre les deux parties opposées.


Le film repose sur l'attente de la révélation du secret et sur les intrigues du père Flynn et de la soeur Beauvais afin de défendre leurs points de vue. La grande perdante est la vérité qui s'incline face au profit de la victoire du plus convaincant.

-SPOILER ALERT-

La fin de l'histoire est tragique et laisse pantois. La sœur Beauvais est rongée de l'intérieur.  Face à son mensonge pour évincer le père Flynn, la religieuse admet que l'acceptation du transfert par l'homme d'église prouve que les soupçons portés contre lui étaient fondés mais elle s'effondre en pleurs. Elle a des doutes. Son courage n'est pas récompensé. La mère du jeune garçon était consentante à cette relation entre le père Flynn et son fils par opportunisme car l'école catholique ouvre des portes inespérées autrement. Et le père Flynn est promu par un évêque à la tête d'une grande école alors que la sœur Beauvais a été rétrogradée. Ce qui plonge évidemment la sœur dans un léger désarroi (qu'elle appelle doutes) car elle n'a eu aucune reconnaissance de sa parole.

Si John Patrick Shanley voulait narrer l'histoire d'un serpent qui se mord la queue, il a réussi à s'arracher la sienne à pleines dents. La dimension tragique réside dans l'absence de punition des travers pédérastes du père Flynn MAIS comment l'éloignement de sœur James et les doutes de sœur Beauvais, compris dès lors comme une double punition, peuvent-ils apporter une conclusion à ce récit ? Doubt laisse perplexe, les bras ballant et l'air hagard, plutôt que larmoyant ou apitoyé. Doubt raconte le combat perdu d'une sœur qui, parce que le monde clérical lui dit qu'elle a tort, souffre d'avoir eu raison de défendre sa voix. Incompréhensible. 

-FIN SPOILER ALERT-

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