La sélection de Donc Acte !

Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.

mercredi 20 juillet 2011

Elvira Madigan

Mardi 19 Juillet 2011
Soir

Elvira Madigan est le nom de scène de la funambule danoise Hedvig Jensen qui a entretenu à partir de l'été 1888 une liaison secrète avec Sixten Sparre, lieutenant d'un régiment suédois de dragons, marié et père de deux enfants. Partis sur les chemins de traverse vivre leur amour sans contraintes durant l'été 1889 après la désertion de Sparre, ils ont séjourné à Stockholm, à Copenhague et à Svendborg où ils sont restés locataire d'une chambre d'hôtel pendant un mois. Puis, fuyant la mère d'Elvira, à cours de ressources financières, de travail et sans appui familial ni amical, la balade amoureuse se conclua en tragédie. Le lieutenant Sparre et Elvira Madigan préférèrent la mort à la séparation.

Bo Widerberg, metteur en scène affrontant le classicisme et la rigidité formelle du 7ème art suédois dont le préposé de référence est Ingmar Bergman, a été inspiré par ce fait divers scandinave afin d'affirmer la direction stylistique (en terme de montage, de photographie et de cadrage) qu'il disait influencé par la Nouvelle Vague et d'ajouter une dimension sociale aux films. A ce titre, Widerberg alterne caméra portée sur épaule et caméra au sol.

Pour filmer Elvira Madigan, Bo Widerberg a engagé Jorgen Persson pour s'occuper de la direction de la photographie. Indispensable à l'aspect discursif du film et à la vision de Widerberg sur ce fait divers tragique, la mise en image est d'une grande virtuosité. Le travail de l'opérateur de caméra met l'accent sur une présence de la lumière claire et diffuse magnifiant le réel et mettant en évidence l'état d'esprit des personnages. La blondeur de Pia Degermark (Elvira Madigan) est constamment reflétée comme un miroir dans lequel Sparre y perd ses mots et son jugement. Les promesses de la sensualité corporelle avec Elvira semblent irrésistibles. Une femme a rarement été rendue aussi séduisante à l'écran depuis l'époque du glamour hollywoodien. La diffusion de la lumière rend flous certains contrastes dans le décor car elle souligne l'état ensoleillé, illusionné, ensorcelé qui sont ceux des deux amoureux et qui se détachent du concret et matérialiste monde terrestre. La scène à l'imagerie digne d’Épinal où Elvira Madigan baigne dans une lumière divine l'auréolant de beauté éternelle la montre en train de se nourrir d'aliments qu'elle ramasse à même le sol à genoux dans un champ. L'amour qu'Elvira ressent est stigmatisé comme une régression à un état animal.

L'amour fusionnel est critiqué. Les deux amoureux sont une seule et même personne. Ils sont l'autre. Ils ont échangé leurs places. Ils ont échangé leurs cœurs. Ils voient ce que l'autre voit et sentent ce que l'autre ressent. Leurs mots n'ont d'ailleurs plus aucun sens pour eux. Est-ce imaginer l'amour ? Bo Widerberg indique que ce sentiment qui se vit dans la nature, loin de tout carcan social, est avant tout une histoire de déconnexion du réel et d'emprise sur le fantasme. Sparre, l'ignorant lieutenant déserteur, se pose d'ailleurs la question de la définition de l'amour. Son meilleur ami lui oppose la distorsion de la vision personnelle et l'influence négative de la jeune femme.

Elvira Madigan, funambule.
Le lieutenant Sparre se réjouit d'avoir oublié ses devoirs et de ne plus être en possession de ses sens. Il est heureux dans un abandon total de lui-même. Il a délégué tout son être à Elvira qui a fait de même mais aucun n'est plus capable d'assurer ses propres responsabilités. Les deux amoureux inversent tout. Ils imaginent l'amour et l'acceptation totale de l'autre en pratiquant une intimité fusionnelle mais aucun des deux ne pense à rien d'autre. S'occuper de l'autre n'est pas pris en compte. Elvira s'amuse souvent à emprunter une corde à linge afin de reprendre son activité passée : le funambulisme. Elle agit comme si son activité professionnelle était un passe-temps occasionnel amusant et comme si son amour était son vrai travail.

Hedvig Jensen et Sixten Sparre, amoureux.
Désertant ce monde, cette extrême tolérance les singularise et les isole de la société où le lieutenant et Elvira ne peuvent plus se réinsérer. Elvira Madigan met l'accent sur l'opposition au sentiment de solitude. C'est pour combattre cette impression d'isolement de soi en soi-même qu'un tel amour fou naît. Ce sentiment tenace où l'autre est protecteur de soi détruit les devoirs envers soi-même. A moins que l'une des personnes soit plus responsable que l'autre, un couple fondé sur cet abandon de soi est voué à l'échec car il pousse à l'auto-destruction et la destruction.




Le vrai lieutenant Sparre.
La vraie Elvira Madigan.
























Bo Widerberg.

P.S. : Bo Widerberg réalisa une série de longs-métrages qui marquèrent l'histoire du cinéma scandinave et mondial. Un flic sur le toit (Mannen pa taket), adaptation d'un épisode de la série du roman d'un crime de Sjöwall et Walhöö, est le film policier suédois de référence. Adalen '31, Elvira Madigan et Joe Hill sont trois métrages récompensés au festival de Cannes : Elvira Madigan du prix d'interprétation féminine  en 1967, Adalen '31 du Grand Prix en 1969, Joe Hill du Prix spécial du Jury en 1971.

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