La sélection de Donc Acte !

Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.

mercredi 20 juillet 2011

Festen (Dogme95 No 1)

Mardi 19 Juillet 2011
Nuit

Dogme95 No 1 Festen est un film réalisé par Thomas Vinterberg en 1998. Le métrage inaugurait la volonté du metteur en scène danois de respecter un vœu de chasteté cinématographique correspondant à la charte du dogme95 écrite par Lars von Trier et lui-même à Copenhague le 13 mars 1995 et proclamée au théâtre de l'Odéon à Paris lors d'une rencontre sur le centenaire du cinéma le 20 mars de la même année.

« Vœu de chasteté
Je jure de me soumettre aux règles qui suivent telles qu'édictées et approuvées par Dogme95

1. Le tournage doit être fait sur place. Les accessoires et décors ne doivent pas être amenés (si on a besoin d'un accessoire particulier pour l'histoire, choisir un endroit où cet accessoire est présent).
2. Le son ne doit jamais être réalisé à part des images, et inversement (aucune musique ne doit être utilisée à moins qu'elle ne soit jouée pendant que la scène est filmée).
3. La caméra doit être portée à la main. Tout mouvement, ou non-mouvement possible avec la main est autorisé. (Le film ne doit pas se dérouler là où la caméra se trouve; le tournage doit se faire là où le film se déroule).
4. Le film doit être en couleurs. Un éclairage spécial n'est pas acceptable. (S'il n'y a pas assez de lumière, la scène doit être coupée, ou une simple lampe attachée à la caméra).
5. Tout traitement optique ou filtre est interdit.
6. Le film ne doit pas contenir d'action de façon superficielle. (Les meurtres, les armes, etc. ne doivent pas apparaître).
7. Les détournements temporels et géographiques sont interdits. (C'est-à-dire que le film se déroule ici et maintenant).
8. Les films de genre ne sont pas acceptables.
9. Le format de la pellicule doit être le format académique 35mm.
10. Le réalisateur ne doit pas être crédité.

De plus je jure en tant que réalisateur de m'abstenir de tout goût personnel. Je ne suis plus un artiste. Je jure de m'abstenir de créer une « œuvre », car je vois l'instant comme plus important que la totalité. Mon but suprême est faire sortir la vérité de mes personnages et de mes scènes. Je jure de faire cela par tous les moyens disponibles et au prix de mon bon goût et de toute considération esthétique.
Et ainsi je fais mon Vœu de Chasteté
Copenhague, Lundi 13 mars 1995
Au nom du Dogme95
Lars Von Trier, Thomas Vinterberg »

Récompensé à Cannes du Prix du Jury en 1998, le vœu des deux cinéastes danois de marquer l'ouverture du second centenaire du cinéma était officiellement adoubé. Le long-métrage réalisé dans des conditions techniques proche de l'amateurisme a connu une distribution internationale et jouit encore d'une renommée sans faille. Thomas Vinterberg, qui voulait se garder de créer des "œuvres", a réalisé un chef d’œuvre et est considéré comme étant un artiste.


Le récit du film s'attache à la volonté d'un fils, Christian Klingenfeldt (Ulrich Thomsen), de dévoiler un lourd secret de famille devant le parterre de sa communauté de sang au complet. Aidé en cela par le devoir de mémoire et le respect dû à sa défunte sœur jumelle Linda, Christian fait éclater la vérité sur son père Helge Klingenfeldt (Henning Moritzen). Rejeté et conspué par sa famille festoyant, Christian doit poursuivre sa lutte. Il est soutenu par une poignée de personnes pour l'aider à imposer sa voix face à celle d'un patriarche dominant.

Conformément à la règle 7, Festen se déroule au présent et sur place. Considéré que l'acte qui fonde les motivations de Christian est passé, Vinterberg met l'accent sur la confrontation père-fils et non sur le secret l'unissant à sa sœur jumelle et son paternel. Cet affrontement est traité en substance dans la durée minime du temps d'une fête de famille dans l'hôtel du patriarche qui est aussi la maison d'enfance de Christian. Le récit proche du temps réel s'appuie sur la résistance de Christian à l'opposition violente de ses congénères, sur sa détermination (les faits dénoncés reposent sur sa parole) et la durée qu'il va se montrer capable d'endurer. 

La problématique tourne autour des moyens d'affirmation et d'acceptation de la vérité. Même si l'emphase du spectateur est du côté de Christian, la caméra portée suivant le jeu délicat et en retenue d'Ulrich Thomsen, le regard du cinéaste s'attarde sur les personnages du père, de la mère et du frère défendant leurs intérêts et renvoyant Christian à son attitude relationnelle en famille, et, à la possibilité du mensonge et de la calomnie ; ce à quoi concède Christian après sa première charge en se justifiant par un défaut de mémoire (soutenu par la culpabilité et l'identification à son agresseur passé).

Ainsi Vinterberg place une lettre qui, comme dans une pièce de théâtre, circule entre plusieurs mains "au présent" et qui contient la vérité. Les détournements temporels qui auraient pu donner lieu à l'utilisation de flash-back indiquant la nature du secret et accusant le père avant la fin du film sont exclus. La résolution du récit repose sur la victoire de la vérité. Dans la première scène où Christian se retrouve seul en présence de son ennemi familial, Thomas Vinterberg le montre pris d'une manie compulsive révélatrice. Le cinéaste danois respecte ici les règles 7 et 6 de la charte du Dogme95. Par respect de la règle 6, l'action superficielle n'est pas montrée. Le secret honteux et la faute reprochée font partie de la catégorie des meurtres, des armes, etc. qui ne doivent pas apparaître.


Mais les révélations que Christian fait sont consolidées par un traitement qui refuse la neutralité et souligne le conflit pour imposer les faits face au parti pris. Ses soutiens sont persuadés de la véracité de ses dires. Il ne manque qu'à Christian que la preuve matérielle irréfutable qui discréditerait son père à la connaissance de la famille. Son autre sœur est en possession de la lettre de la sœur jumelle, une autre voix, une voix d'outre-tombe (qui a purifié son corps en se suicidant par noyade dans une baignoire), mais elle se refuse à admettre la vérité qu'elle y a lu. Festen est le spectacle de l'affrontement de voix. Qui de la vérité ou du plus convaincant s'impose ? Là est le sel de ce film que je vous laisse découvrir si vous ne l'avez pas vu.



P.S. : Histoire de taquiner Thomas Vinterberg, la règle 1 du vœu de chasteté ne semblait pas être respectée dès le premier film labellisé Dogme95. La question est de savoir si le jeu flêché et la lettre de la défunte sœur étaient déjà dans les lieux où Festen a été tourné, ou, s'ils font partie d'accessoires du film amenés par l'équipe. Si le second cas est le bon alors la règle est enfreinte. Rappel de la règle 1 : Le tournage doit être fait sur place. Les accessoires et décors ne doivent pas être amenés (si on a besoin d'un accessoire particulier pour l'histoire, choisir un endroit où cet accessoire est présent). Il faut donc croire que le petit mot de la sœur jumelle de Christian était un accessoire présent dans la maison choisie pour le tournage. Thomas Vinterberg a donc préféré cet endroit parce qu'il y avait des flèches et petits animaux dessinés dans une chambre et une lettre cachée dans un lustre.

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