La sélection de Donc Acte !

Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.

dimanche 14 août 2011

Sam Peckinpah

Samedi 13 Août 2011
Soir

Fiche de lecture de l'ouvrage Sam Peckinpah, un réalisateur dans le systèmze hollywoodien des années soixante et soixante-dix, éditions L'Harmattan, 1997

En tant que professeur au lycée Bristol de Cannes, Gérard Camy coordonne les enseignements de cinéma-audiovisuel et écrit dans plusieurs revues dont Jeune Cinéma et Télérama. Il combine un intérêt pour le cinéma non conventionnel (l’ouvrage 50 films qui ont fait scandale) et le cinéma de genre (l’ouvrage Western, que reste-t-il de nos amours ?). Comme s’il voulait affirmer son amour du western et son goût du scandale en les mettant en corrélation, Gérard Camy s’est penché sur la vie et l’œuvre d’un réalisateur de westerns qui ont suscité la polémique, l’américain Sam Peckinpah. 


Pour la majeure partie de ceux qui connaissent le travail de Peckinpah, le cinéaste et son œuvre sont indissociables. Au-delà des sujets de controverse que ses films ou l’homme peuvent susciter, Peckinpah est un être qui fut attaché à une certaine liberté, même si celle-ci entraînait plus de malheur et de destruction que souhaité. Entre esthétisme de la violence pour les détracteurs et analyse de la violence pour les autres, son œuvre n’a jamais su éviter l’écueil qui est réservé aux films ayant attrait à la violence et qui l’utilise pour la dénoncer.


Dans l’ouvrage de Gérard Camy, une biographie nous introduit dans un univers où la confusion et l’inconstance sont omniprésentes dans la vie du cinéaste, où la défense d’un certain réalisme s’allie à une lutte perdue d’avance contre les producteurs hollywoodiens. En second lieu, Gérard Camy brasse les divers thèmes et outils de mise en scène de Peckinpah : la vision réaliste d’hommes et de femmes qui font leurs chemins dans une nature sauvage et une civilisation corrompue, et, l’analyse de la société américaine à travers le prisme d’une violence disséquée qui est autant une récurrence dans le cinéma du cinéaste qu’une utilisation particulière du montage parallèle et de la synchronisation son/image sont propres à l’artiste.


Né en 1925 à Fresno, Sam Peckinpah connut de multiples déboires personnels et professionnels jusqu’à sa mort en 1984.  Après des débuts couronnés de succès comme scénariste et réalisateur  de séries pour la télévision dans les années 1950 et 60 (The Rifleman, The Westerner et Gunsmoke entre autres), Sam Peckinpah suivit la voie que d’autres cinéastes en devenir comme Donald Siegel et Robert Altman prirent en se détachant du médium populaire américain (TV) pour le médium populaire international (le cinéma).


A l’image de ses propres personnages de fiction, Sam Peckinpah respecte des principes liés à une idée de la masculinité affirmée. Entre deux ex-épouses auxquelles il se référa à intervalles répétés à ses instants de crise artistique, professionnelle et émotionnelle, Sam Peckinpah erra entre les Etats-Unis et le Mexique, l’alcool, les amis de dérive et les relations fugaces. La  violence intrinsèque à la condition qu’il s’est choisi est retranscrite dans ses fictions. Le savoir-faire acquis sur le tas et son caractère assoiffé de liberté lui permirent de réaliser des œuvres se suffisant à elles-mêmes (The Wild Bunch en 1968-69, Straw Dogs en 1971, Pat Garrett & Billy the Kid en 1973, Bring me the Head of Alfredo Garcia en 1974 et Cross of Iron en 1976-77) et d’aller au-delà d’une simple digression envers les règles des genres ultra-codifiés que sont le western, le film d’action et de guerre.


Ce fait entraîna d’importants conflits avec les dirigeants et les producteurs des studios qui furent déterminants dans la vie de l’auteur et dans la qualité de son œuvre. Peckinpah alla jusqu’à menacer des producteurs au couteau lorsqu’une expérience de conflits artistiques se répéta sur plusieurs de ses films. Après deux premiers longs-métrages dont les quelques digressions sont admises avec légèreté, la Columbia condamna l’œuvre la plus personnelle et assumée de Peckinpah jusqu’alors. Quarante minutes du métrage Major Dundee (1964-65) furent supprimées au montage sans l’aval du réalisateur ; montrer un massacre dans toute sa cruauté n’est pas du goût des producteurs lorsque cela retarde l’entrée en scène des protagonistes principaux.


        Dans le cœur et l’esprit de Sam Peckinpah, tous les producteurs sont des enfoirés (et plus encore ceux d’Hollywood). Alcoolique à plein temps, drogué et ermite paranoïaque à ses pires heures, le réalisateur partait d’un tempérament d’écorché vif pour diriger ses œuvres comme s’il s’agissait de guerres et ses seuls ennemis étaient les producteurs. Les coupes qui suivirent celles de Major Dundee furent sévères envers la violence graphique retranscrite dans ses films ; en moyenne, une demi-heure est coupée par film pour The Wild Bunch et Pat Garrett & Billy the Kid, et, Peckinpah voit les producteurs de Straw Dogs se rétracter devant la censure.


Si Sam Peckinpah a pu exister en tant que metteur en scène à l’époque, c’est que la violence graphique de ses films était une source de nouveauté pour le public, et donc de profit pour les producteurs. Après les lois anti-trust et avec la concurrence de la télévision qui devenait le vampire de l’attention visuelle du spectateur moyen, les studios ne pouvaient que continuer à accepter un réalisateur qui, fort de ses succès populaires, était un des moteurs d’une industrie qui devait élargir son champ de représentations (Peckinpah fut affublé du surnom de « Bloody Sam » à la sortie de The Wild Bunch en 1969). Cette économie hypocrite basée sur la production d’un objet que l’on ne peut admettre ni dans sa totalité ni moralement est à l’origine des coupes sombres qui ont eu lieu en divers parts de ses films. L’utilisation de la violence que Sam Peckinpah utilisait pour dénoncer la violence et la nature humaine corrompue par l’intérêt politique fut à double tranchant pour lui. Loin de la perversion voyeuriste dont on a voulu l’affubler, Sam Peckinpah hérite de l’une des plus mauvaises réputations de l’histoire du cinéma. Au fur et à mesure que son aura de réalisateur difficile l’emportait sur les succès commerciaux de son fait, Peckinpah essayait de s’évader dans l’alcool, la drogue et son pays d’adoption, le Mexique, où il se consolait peut-être d’avoir réalisé un chef d’œuvre qu’aucun producteur n’avait violé, Cross of Iron produit et tourné en Europe qu’Orson Welles reconnaissait être l’un des plus grands films réalisé sur la guerre.


Ayant grandi au contact de l’ouest et ayant participé à l’effort de guerre en 1945 en Chine, Sam Peckinpah est un homme pour qui l’action, la violence et la mort ne peuvent être idéalisées, romancées et utilisées comme simple bagage identitaire du divertissement. Chacune d’entre elles est ancrée dans une réalité qui crée davantage de souffrances qu’elle n’enfante de héros. C’est ainsi que les personnages qu’il décrivait étaient des êtres déchirés par une nature humaine repoussante pour eux-mêmes causant la volonté de se détruire par l’alcool et l’oubli des lois de ce monde.


Une déconstruction méticuleuse du scénario permettait à Peckinpah, à partir de petites scènes rassemblées avec lenteur, de privilégier les personnages sur l’intrigue. Les comportements, évolution, décisions et réactions priment sur les situations qui, seules, peuvent changer. Les personnages principaux restent inflexibles. La focalisation participe alors à une réflexion sur les fonctions traditionnelles du héros et ses stéréotypes. Dans Cross of Iron, un groupe de soldats allemands pendant la seconde guerre mondiale (les « méchants » des films de guerre hollywoodiens pendant des décennies) constitue le point d’encrage. Le spectateur, même plongé dans l’enfer quotidien du front russe, ne peut pas sympathiser avec des nazis et passe son sujet au crible analytique ; la guerre et les hommes qui la font. Mais les moyens utilisés à ces fins passent également par des moyens purement cinématographiques.


Le montage parallèle laisse l’onirisme et le discursif prendre leur importance dans la représentation réaliste d’un personnage ou d’une situation. Assembler une situation passée ou à venir à une séquence retranscrivant le présent narratif par l’intermédiaire de plans fugaces provoque une rupture dérangeante pour la continuité de l’action. Pour le personnage de Steve McQueen dans l’ouverture de The Getaway (1972), Peckinpah fait œuvre de distinction nette entre images sonores et éléments visuels. Le cliquetis de la machine sur laquelle le personnage est main d’œuvre aide à définir la saturation et son insupportable situation de prisonnier. Ce cliquetis est lié à des images d’ouverture et de fermeture de portes de prison, de bruits et d’images de pas répétés et d’images d’une étreinte passionnée avec une femme (à la fois souvenir d’un passé réconfortant et d’un avenir ardemment désiré). Le son répétitif et les images montées en parallèle donnent l’impression d’une éternelle et répétitive mécanique de l’esprit. La prison est alors un cadre inapproprié à l’action du film. Le spectateur veut autant sortir de prison que le personnage de McQueen. La lecture du spectateur est induite vers la psychologie fictive d’un protagoniste engoncé dans celle-ci. Et, quand ce dernier en sort, le héros sans famille typique pour Peckinpah (individualiste lucide, convaincu et violent dans le combat social et l’engagement sous toutes ses formes) se retrouve aux prises avec une société caractéristique chez Peckinpah (une société américaine corrompue et violente dans laquelle l’effondrement de la cellule familiale, une armée-instrument du pouvoir, CIA et autres services secrets, une religion chrétienne oppressive, une population complice, la famille et la religion cédant le pas à l’argent, un puritanisme exigeant dont les pratiquants possèdent une foi rigide, un dieu aveugle et sadique aident toute personne ayant du pouvoir politique à être la marionnette d’un homme d’affaires commanditaire de barbarie).


Le cinéma de genre est, pour Peckinpah, une antre de l’analyse de la société américaine qu’il dissèque à travers le prisme de la violence. La violence est une contrainte de la vie. La force est une arme nécessaire pour se libérer de l'oppression sinon le vernis social craque vite et laisse le primitif prendre le dessus. Peckinpah ne participe pas au mouvement de banalisation de la violence. Elle est le « catalyseur des relations sociales ». Elle s'apparente à une solution pour ne pas se laisser déborder par le primitif ni pour se laisser dominer. Deux forces existent : celle des hommes oppressés qui s’apparente à une violence primitive, barbare, dévastatrice et irréversible une fois enclenchée, et celle qui sert à s’expliquer (dont le vecteur est la colère) et à prendre part à la fête qui en est le déclencheur. La violence chez Peckinpah est identifiée comme facteur moteur de la barbarie et construisant les rapports dans la civilisation.


Par cet ouvrage, Gérard Camy replace Peckinpah dans une logique d’auteur méconnu et maudit. Il met en exergue l’aspect fragile et touchant de la vie d’un être tiraillé entre liberté artistique et contraintes institutionnelles. Il rend justice à son œuvre grâce à un projecteur aux lumières pénétrantes révélant toute l’intelligence et la pertinence du propos du réalisateur américain.

4 commentaires:

  1. Très chouette article. Je suis un grand fan de Peckinpah, de ses films "mineurs" (Major Dundee, La Croix de fer) à ses meilleurs, La Horde sauvage, Pat Garrett, et surtout son chef-d’œuvre, Straw dogs.

    J'ai récemment découvert Cable Hogue et j'en ferai certainement un article sur mon blog :)

    En tout cas très bon papier de ta part, qui donne en prime envie de lire ce bouquin !

    RépondreSupprimer
  2. Cable Hogue est marrant, il me fait penser à Juge et hors-la-loi de John Huston que j'aime beaucoup, ce sont deux belles fables de grands naïfs dans l'ouest américain.

    RépondreSupprimer
  3. Chouette lecture(s) ! :)

    J'aime beaucoup Peckinpah aussi, dont je garde encore quelques films de côté à découvrir.

    Tu m'as procuré un nouveau wallpaper windows avec l'affiche de The Getaway, film extra !

    RépondreSupprimer
  4. The Getaway est une bombe de film !

    RépondreSupprimer