La sélection de Donc Acte !

Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.

dimanche 9 octobre 2011

From Hell

Dimanche 9 Octobre 2011
Octobre Rouge #3

Jack l'éventreur, Jack the Ripper en version originale, est toujours impuni. Son mobile n'a jamais été trouvé et le tueur n'a jamais été identifié. Il œuvrait dans le quartier londonien de Whitechapel en 1888. Ce monstre humain égorgeait puis éventrait ses victimes afin de retirer leurs viscères (intestins, reins, utérus). Bien que 5 meurtres de prostituées soient avérés de son fait, d'autres assassinats présentent des similitudes avant la première (31 août 1888) et après la dernière de ses exactions officielles (9 novembre 1888). Tellement de mystère entoure son cas que les enquêteurs et intéressés du ripper se querellent entre spéculations et théories. Une bonne centaine de suspects a été désignée.

From Hell est un roman graphique d'Alan Moore et Eddie Campbell des années 1990 reprenant les conclusions fondées sur les recherches de Stephen Knight afin de structurer son récit. L'adaptation cinématographique des frères Hughes, comme le téléfilm Jack the Ripper avec Michael Caine, proposent leurs théories sur l'identité de Jack l'éventreur. Ces trois œuvres convergent vers le même homme estimé être le plus probable tortionnaire des prostituées de Whitechapel.


From Hell, les frères Hughes, 2001, USA.

Quand je commence la vision d'un film avec un bol de glace à la vanille et que je m'en ressers un second à la 35ème minute, ce n'est pas très bon signe. Quand je commence à rédiger un texte alors que je n'ai pas atteint la moitié du métrage, cela signifie que je songe à prendre un troisième bol avant de relancer les débats. Dans ce cas, je sauterai des passages pour arriver jusqu'à son terme ou je ne le terminerai pas.

From Hell est un film d'ambiance. L'ouverture s'attarde sur la prise d'opium d'Abberline. Comme l'inspecteur chargé de l'enquête des meurtres de Whitechapel, un état second est requis pour apprécier ce métrage. La glace à la vanille ne suffit pas à l'atteindre, peu importe la quantité absorbée. Lecteurs, j'ai risqué pour vous une montée de tension due à l'absorption importante de sucre devant From Hell. Si je continuais de m'en servir, c'est que le long-métrage ne faisait pas son travail. Pour ma santé, j'ai zappé le retour au réfrigérateur et je me suis concentré sur l'écriture de l'article. Le ciel est rouge.


Pendant que les autorités policières veulent blâmer les juifs commerçants et que la populace tient des torches, la narration enrobe une mise en scène de la condition de la femme à l'époque victorienne : pauvreté, prostitution, menaces de mort de proxénètes, arrestation et détention policière, maîtresse honteuse de nobles, Jack l'éventreur (où sont les autres ladys anglaises ?). Les frères Hughes ont misé sur l'ouverture de la compassion envers les femmes promises à l'égorgement et l'éventrement en les mettant en relation avec un Johnny Depp complètement stone. Mais les cadavres ont l'air des effets spéciaux qu'ils sont ; un mélange de latex et de liquide synthétique. De plus, Johnny Depp déclame les descriptions des atrocités commises sur un faux air inspiré d'homme en transe qui joue des sourcils (vers le haut, vers le bas, en inclinaison et vers le froncement) tout en roulant les yeux de gauche à droite et en prenant un ton mystérieux faisant traîner sa voix. Comme si l'horreur ne méritait aucune réaction gutturale.


L'ensemble a du mal à trouver une cohérence. Entre réalisme social, film à suspense, film d'horreur, ambiance glauque poussant au dodo, film policier, vision esthétisante des meurtres, Johnny Depp buvant de l'absinthe et fumant de l'opium (trois scènes en une demi-heure), l'indifférence est assommante. La musique noie chaque image, manque d'imagination et essaie de transmettre une émotion glauque exagérée. Les violons font vibrer une ou deux notes se répétant sur quelques trémolos et des chœurs au rythme saccadé soulignent chaque moment et transition. Un montage syncopé et une musique énergique appuient les meurtres. Les frères Hughes ne mettent pas en perspective l'icône que le tueur incarne. Ils rendent visuellement glamour les crimes. Tout cela est très dérangeant au mauvais sens du terme.


Le téléfilm Jack the Ripper misait sur l'abomination des assassinats pour faire participer le spectateur à la narration. Vis-à-vis du sort réservé à la vie et aux corps d'êtres humains, il souhaite l'arrestation de Jack l'éventreur. Pour From Hell, j'avais besoin de Häagen-Dazs pour rester éveillé. Pauvre sort réservé à l'adaptation du roman graphique From Hell que d'avoir plombé un récit intéressant par une ambiance chuchotant l'horreur pour qu'elle ne s'entende pas trop et une imagerie qui esthétise le crime pour la rendre supportable (des phases brusques de montées musicales de tension qui retombent aussi rapidement qu'elles sont apparues).

7 commentaires:

  1. Je l'avais subi au ciné, celui-ci. Très sale souvenir. Je m'étais bien fait chier, à un âge où j'allais pourtant très rarement au ciné...

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  2. Pas du tout d'accord avec vous deux !

    J'avais beaucoup aimé 'From Hell' quand je me l'étais coltiné en boucle à l'époque bénie des cours de ciné.

    Je suis d'accord pour le maniérisme (dû surtout au jeu de Johnnny Depp) excessif mais j'avais surtout apprécié la figuration de Jack L'éventreur comme sorte de retour du refoulé de l'époque victorienne.

    L'émancipation de la femme, l'avancée de la médecine, le passage vers la modernité sont parfaitement rendus et on se rend compte que ce Jack là ne se prend pas tant aux femmes qu'à une évolution sociale qu'il exècre.

    Il est bien évident que le comics de Moore dépasse de loin cette adaptation dans la transgression qui passe ici par un trop plein de clichés (opium et absinthe comme tu le souligne) mais il n'en reste pas moins pour moi une approche différente de la figure du serial killer.

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  3. Pour l'émancipation de la femme, le film se termine joliment pour H. Graham libre et sauve. Jack devait certainement détester les femmes. A l'époque, Abberline suspectait Chapman, misogyne connu, qui avait empoisonné 3 femmes et a été pendu en 1903. En général, les tueurs en série masculins ont tous des problèmes (sexuels) avec les femmes.

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  4. ... même s'ils ne s'en prennent pas qu'à elle ... des fois, ce sont les enfants les victimes.

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  5. Miho, quelle école de ciné as-tu faite ?

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  6. J'ai pas fait d'école, université (Lille 3) avec master recherche en ciné :)

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  7. Et tu travailles dans le ciné ?

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