La sélection de Donc Acte !

Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.

samedi 29 octobre 2011

Arsenic & vieilles dentelles

Samedi 29 Octobre 2011
Octobre Rouge #24

Arsenic & vieilles dentelles, Frank Capra, 1944, USA.

Avez-vous jamais travaillé la nuit ? Avez-vous jamais travaillé la nuit en apprenant juste avant votre service que le changement d'horaire rajoute une longue heure à votre peine et qu'elle ne sera pas payée en supplémentaire ? Vous êtes-vous donc déjà senti attaché à une chaise, bâillonné et saupoudré d'arsenic par 2 tantes folles ? Moi oui, cela vient de m'arriver ce soir en arrivant au boulot.

Blague mise à part, je voulais parler d'Arsenic et vieilles dentelles durant la phase Octobre Rouge pour montrer que je peux rire de l'horreur de façon intelligente. Moi qui suis tombé avec force sur les échecs d'humour que sont Landru et L'auberge rouge, je ne voulais pas passer pour un sale rabat-joie. Alors qu'est-ce qui fait le succès de cette comédie screwball truculente et l'échec des 2 films français précités ? Landru et L'auberge rouge s'inspirent directement de faits divers réels dans lesquels des victimes ont bien trouvé la mort et dans lesquels des proches de victimes ont souffert de la disparition d'êtres chers, voire dans le cas des époux Martin, il pourrait même s'agir d'une erreur judiciaire. Comment rire alors ? Alors qu'Arsenic et vieilles dentelles est une farce truculente très éloignée des faits qui narre une histoire possédant très peu de vraisemblance.


Jugeons sur les faits.

Henri-Désiré Landru était un tueur en série qui a assassiné 11 femmes et le long-métrage raconte la même histoire sur un ton léger presque emphatique qui compte beaucoup sur le spectateur pour arrêter la vision du film. L'auberge rouge expose la folie meurtrière des époux Martin et de leur domestique alors que les époux Martin ont peut-être été victimes d'une erreur judiciaire ou sont tout simplement coupables. Ces 2 œuvres laissent se poser en suspension la question : "Peut-on rire de ce qui n'est pas drôle ?"
 
L'écriture de la pièce Arsenic & Old Lace par Joseph Kesselring, adaptée au cinéma par Frank Capra, a été influencé par l'affaire Vera Renczi. La "veuve noire" Vera Renczi était une très belle roumaine de famille aisée qui, dans les années 1920 et 1930, a empoisonné 2 époux, son fils Lorenzo et 32 amants à Berkerekul en ex-Yougoslavie. Elle a gardé les 32 corps de ses amants chez elle à la cave dans des cercueils en zinc par jalousie maladive. Les relations entre eux lorsqu'ils étaient vivants ne dépassaient jamais quelques mois. Elle les accusait de l'avoir trompé, de vouloir l'abandonner et de ne plus être attiré par elle. Elle a été incarcérée à vie et a trouvé la mort en prison.

Arsenic et vieilles dentelles narre les embuches au bonheur (comprendre le voyage de noces) s'accumulant progressivement pour Mortimer Brewster (Cary Grant), célibataire endurci fortement opposé à l'institution du mariage, et de sa récente épouse Elaine Harper. Mortimer Brewster doit se détacher de ses 2 tantes charitablement assassines qui offrent le gîte et le couvert aux vagabonds et désespérés de l'existence en leur proposant une solution finale avant de les enterrer à la cave. Elles ne se chargent pas elles-même de ce dernier travail. Elles utilisent leur frère, en constante personnalisation de Teddy Roosevelt, pour creuser un canal de Panama au sous-sol.


En somme, l’œuvre de Kesselring est très éloignée des faits (à ne retenir que la détermination des 2 tantes à ne pas laisser partir les seuls hommes de leur vie et l’enterrement des cadavres à la cave) et s'inscrit dans un genre fantaisiste ... Outre ses tantes charitablement assassines et son oncle Teddy qui n'est plus son oncle Brewster, Mortimer Brewster doit également conjuguer ses efforts pour traiter avec un directeur d'institution psychiatrique avide d'enregistrer de nouveaux patients dans son établissement, son épouse impatiente de partir en voyage de noces, une police de proximité tolérante et amicalement moraliste, un conducteur de taxi très compréhensible et très intéressé, et son cousin et son acolyte récemment échappés de prison.


Arsenic & vieilles dentelles est une comédie truculente au rythme soutenu et à l'interprétation parfaite (Cary Grant est au sommet de sa forme). L'intrigue va de rebondissements en rebondissements. La tension dramatique est toujours en pente ascendante. La narration d'Arsenic & Old Lace permet à la fois de rire des raisonnements irrationnels des tantes assassines trop altruiste pour être vraies et de frissonner face à leurs méfaits. Le récit mélange très habilement les genres : comédie et film d'horreur. Autant les situations sont comiques (le comique de situation est l'élément qui fonctionne le mieux dans L'auberge rouge : la scène de la grille aux châtaignes) autant Jonathan Brewster est dangereux et effrayant avec ses désirs sadiques. 

Arsenic et vieilles dentelles fait partie de ces pièces de théâtre adaptées avec succès au cinéma par des grands cinéastes hollywoodiens (Howard Hawks et His Girl Friday, Billy Wilder et The Seven Year Itch entre autres, Joseph Mankiewicz et Sleuth, Eliah Kazan et A Tramway named Desire, Alfred Hitchcock et Rope ...) et est l'une des meilleures comédies jamais réalisées. Elle répond à la question : "peut-on rire de l'horreur ?" ... non, d'où le fait de s'en inspirer très largement ... l'habile mélange des genres et la précision de l'accent mis sur des éléments faisant rire (faire une "comédie de genre comique" ne suffit à provoquer l'hilarité) permettent de distinguer les "folies" (la tendre de Teddy, la dangereuse des tantes charitables, l'inquiète de Mortimer et l'ignoble qui fait souffrir par amour de la souffrance de Jonathan) et de s'en émouvoir, et, au passage, permettent de montrer la difficulté qu'a l'amour à s'imposer dans un monde de tordus.

1 commentaire:

  1. Excellent film oui, souvent très drôle, avec un Cary Grant qui chie des flammes tant il est en forme (il en fait parfois BEAUCOUP trop d'ailleurs, mais on l'aime quand même).

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