Blague mise à part, je voulais parler d'Arsenic et vieilles dentelles durant la phase Octobre Rouge pour montrer que je peux rire de l'horreur de façon intelligente. Moi qui suis tombé avec force sur les échecs d'humour que sont Landru et L'auberge rouge, je ne voulais pas passer pour un sale rabat-joie. Alors qu'est-ce qui fait le succès de cette comédie screwball truculente et l'échec des 2 films français précités ? Landru et L'auberge rouge s'inspirent directement de faits divers réels dans lesquels des victimes ont bien trouvé la mort et dans lesquels des proches de victimes ont souffert de la disparition d'êtres chers, voire dans le cas des époux Martin, il pourrait même s'agir d'une erreur judiciaire. Comment rire alors ? Alors qu'Arsenic et vieilles dentelles est une farce truculente très éloignée des faits qui narre une histoire possédant très peu de vraisemblance.
Jugeons sur les faits.
Henri-Désiré Landru était un tueur en série qui a assassiné 11 femmes et le long-métrage raconte la même histoire sur un ton léger presque emphatique qui compte beaucoup sur le spectateur pour arrêter la vision du film. L'auberge rouge expose la folie meurtrière des époux Martin et de leur domestique alors que les époux Martin ont peut-être été victimes d'une erreur judiciaire ou sont tout simplement coupables. Ces 2 œuvres laissent se poser en suspension la question : "Peut-on rire de ce qui n'est pas drôle ?"
En somme, l’œuvre de Kesselring est très éloignée des faits (à ne retenir que la détermination des 2 tantes à ne pas laisser partir les seuls hommes de leur vie et l’enterrement des cadavres à la cave) et s'inscrit dans un genre fantaisiste ... Outre ses tantes charitablement assassines et son oncle Teddy qui n'est plus son oncle Brewster, Mortimer Brewster doit également conjuguer ses efforts pour traiter avec un directeur d'institution psychiatrique avide d'enregistrer de nouveaux patients dans son établissement, son épouse impatiente de partir en voyage de noces, une police de proximité tolérante et amicalement moraliste, un conducteur de taxi très compréhensible et très intéressé, et son cousin et son acolyte récemment échappés de prison.
Arsenic & vieilles dentelles est une comédie truculente au rythme soutenu et à l'interprétation parfaite (Cary Grant est au sommet de sa forme). L'intrigue va de rebondissements en rebondissements. La tension dramatique est toujours en pente ascendante. La narration d'Arsenic & Old Lace permet à la fois de rire des raisonnements irrationnels des tantes assassines trop altruiste pour être vraies et de frissonner face à leurs méfaits. Le récit mélange très habilement les genres : comédie et film d'horreur. Autant les situations sont comiques (le comique de situation est l'élément qui fonctionne le mieux dans L'auberge rouge : la scène de la grille aux châtaignes) autant Jonathan Brewster est dangereux et effrayant avec ses désirs sadiques.
Arsenic et vieilles dentelles fait partie de ces pièces de théâtre adaptées avec succès au cinéma par des grands cinéastes hollywoodiens (Howard Hawks et His Girl Friday, Billy Wilder et The Seven Year Itch entre autres, Joseph Mankiewicz et Sleuth, Eliah Kazan et A Tramway named Desire, Alfred Hitchcock et Rope ...) et est l'une des meilleures comédies jamais réalisées. Elle répond à la question : "peut-on rire de l'horreur ?" ... non, d'où le fait de s'en inspirer très largement ... l'habile mélange des genres et la précision de l'accent mis sur des éléments faisant rire (faire une "comédie de genre comique" ne suffit à provoquer l'hilarité) permettent de distinguer les "folies" (la tendre de Teddy, la dangereuse des tantes charitables, l'inquiète de Mortimer et l'ignoble qui fait souffrir par amour de la souffrance de Jonathan) et de s'en émouvoir, et, au passage, permettent de montrer la difficulté qu'a l'amour à s'imposer dans un monde de tordus.
Excellent film oui, souvent très drôle, avec un Cary Grant qui chie des flammes tant il est en forme (il en fait parfois BEAUCOUP trop d'ailleurs, mais on l'aime quand même).
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